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La détermination des paramètres d’irradiation permettant l’optimisation de la production d’isotopes repose sur une bonne connaissance des sections efficaces de réaction, que ce soit pour la réaction d’intérêt ou pour les réactions parasites.

Mesure des sections efficaces de production

Pour mesurer la section efficace de production d’un radioisotope donné, on peut utiliser une feuille mince d’épaisseur connue que l’on irradie avec un flux de projectiles à une énergie donnée. La mesure de l’activité du radioisotope produit permet alors de remonter à la valeur de la section efficace recherchée. De manière à éliminer les problèmes associés à l’interaction rayonnement/matière, et ainsi avoir une énergie faisceau bien déterminée, on utilise des cibles minces. L’activité générée par interaction du faisceau avec la cible s’écrit alors :

Si l’on est capable de mesurer l’activité Act du radioisotope d’intérêt générée lors de l’irradiation et de contrôler les paramètres d’irradiation que sont le flux de particules incidentes Φ et  le nombre de centres diffuseurs contenus dans la cible Nb, on peut remonter à la valeur de la section efficace recherchée σ :

Pour obtenir une mesure de qualité, il est donc nécessaire :

  • D’utiliser des cibles dont la composition chimique est bien connue, souvent avec un haut niveau de pureté. Les cibles peuvent être enrichies afin de privilégier un canal de réaction. Les cibles peuvent être achetées sous forme de feuilles pouvant être directement irradiées ou produites sur place par électrodéposition, évaporation sous vide, sédimentation ou compactage. La mesure de l’épaisseur est souvent obtenue par pesée.
  • D’utiliser les données nucléaires les plus récentes [NNDC].
  • De connaitre le flux de particules incidentes, qui peut être obtenu par une mesure de courant à l’aide d’une cage de Faraday placée en bout de ligne faisceau et qui fait office d’arrêt faisceau, ou par normalisation relativement à une réaction connue (moniteur).
  • De mesurer avec précision l’activité des radioisotopes que l’on a produit et dont on souhaite mesurer la section efficace. Cela peut se faire par spectrométrie γ, scintillation liquide ou spectrométrie α. A Arronax, nous utilisons généralement la spectrométrie γ réalisée à l’aide d’un détecteur Ge ultra pur avec son blindage de plomb [Gar2011].

La mesure de l’activité représente la difficulté majeure de la méthode car il faut tenir compte de l’angle solide de détection dΩ, sachant que ni le détecteur ni la source ne sont ponctuelles, mais également de l’efficacité intrinsèque du détecteur ε. On n’a donc accès qu’à une activité mesurée et non à l’activité réelle:

Un moyen de s’affranchir de ces effets consiste à effectuer une calibration du détecteur dans une géométrie qui correspond à la géométrie de mesure et de toujours se placer dans les mêmes conditions de mesure. Une autre méthode consiste à placer une feuille de référence (appelée moniteur secondaire) derrière la feuille de mesure pour laquelle la section efficace d’une réaction qui s’y produit est connue (indice prime dans l’équation suivante). Si on calcule le rapport des sections efficaces (celle d’intérêt et celle connue), on obtient la relation suivante :

où il n’est plus nécessaire de connaitre le flux incident de particules, l’efficacité du détecteur et l’angle solide à condition d’effectuer les deux mesures dans les mêmes conditions géométriques. En effet, les deux feuilles étant minces et placées l’une derrière l’autre, le nombre de particules incidentes et la distribution spatiale du faisceau sont identiques. La présence du moniteur secondaire présente en outre l’avantage de récupérer les noyaux créés dans la feuille d’intérêt près de la surface de sortie et qui s’échappent du fait de leurs reculs (rôle de « catcher »). On prendra soin de choisir le moniteur/catcher de manière à ce que les noyaux de recul issus des feuilles de mesure ne perturbent pas la réaction de référence du moniteur.

Choix des moniteurs

Les experts de l’IAEA ont mené des études de validation de données pour certaines réactions qui peuvent ainsi être utilisées comme moniteurs. Plusieurs réactions ont été choisies de manière à couvrir une gamme étendue en énergie ainsi que les différents types de projectiles légers (p, d, α) [IAE2001]. Dans nos études, nous utilisons principalement les réactions natNi(p,x)57Ni et  natCu(p,x)63Zn suivant la gamme d’énergie. À titre d’exemple, la figure I représente l’évolution de la section efficace de production du 57Ni dans du natNi avec un faisceau de proton. Les données disponibles au moment de l’évaluation ont été collectées, une étude critique a été réalisée afin d’éliminer les données sujettes à caution. Un ajustement des données restantes est alors réalisé et sert de référence (trait plein sur la figure 1). Cette section efficace est utilisable au-delà de 17 MeV proton.

Figure 1 : réaction natNi(p,x)57Ni qui peut servir de moniteur dans la gamme 17 MeV-35 MeV.

Irradiations Tests

Trois irradiations tests à 35 MeV, 45 MeV et 61 MeV ont été menées sur un sandwich Titane/Nickel naturels placé dans le dispositif d’irradiation Nice-2. Le tableau II-7 récapitule les paramètres importants de ces irradiations

Energie

incidente (MeV)

Intensité

(nA)

Durée

d’irradiation

(mn)

Epaisseur Titane (µm)Epaisseur

Nickel

(µm)

161100309.8647.39
235100309.6846.99
345200159.9820.90

Tableau II: Paramètres des irradiations tests de mesure des sections efficaces de production réalisées à Arronax entre Mars et Juin 2010.

Le dispositif Nice-2 impliquant nécessairement une irradiation à l’air, nous avons tenu compte de la perte d’énergie dans la feuille de kapton et dans l’air pour déterminer les énergies faisceau. A la suite de l’irradiation, chaque feuille a été comptée en spectrométrie g pendant une heure à différents temps après la fin d’irradiation (jusqu’à 15 jours). Pour l’acquisition des données et l’analyse, nous avons utilisé le logiciel Génie-2000 de la société Canberra. Un soin particulier a été apporté à la cohérence des résultats obtenus aux différents temps de mesure. Cela nécessite de prendre en compte de manière correcte les phénomènes d’interférence et de filiation.

Le phénomène d’interférence apparait quand on produit des éléments qui vont décroitre vers le même noyau fils. C’est le cas par exemple dans ces irradiations du couple  48Sc (T1/2= 43.67h) / 48V(T1/2= 15.9735j) qui décroissent sur le même élément fils le 48Ti (stable). Ces deux radio-isotopes ont de nombreuses raies γ en commun ce qui rend la déconvolution délicate. Lorsque ce problème se présente, plusieurs stratégies s’offrent à nous :

  • Il existe une ou quelques raies qui ne sont présentes que pour l’un des deux noyaux père. C’est le cas du couple 48Sc /48V où la raie à 1037.522 keV n’est présente que pour le 48 Dans ce cas, on se restreint à cette raie pour l’évaluation du 48Sc. On peut ensuite extraire la quantité de vanadium connaissant l’activité de 48Sc.
  • Les périodes radioactives sont très différentes et on effectue alors des mesures à des temps différents de manière à avoir des mesures où ne reste dans l’échantillon que l’élément de période radioactive la plus longue. C’est une stratégie qui s’applique aussi dans le cas du couple 48Sc /48
  • La dernière possibilité consiste à effectuer une étape de séparation chimique des noyaux pères. Ce sera par exemple le cas lorsque nous étudierons les sections efficaces de production du 67Cu dans la réaction (p,2p). En effet le 67Ga et le 67Cu ont des périodes voisines et une décroissance qui se fait en utilisant les mêmes niveaux du 67

Le phénomène de filiation peut fausser les mesures et il doit être pris en compte. Dans nos mesures tests, ce phénomène est apparu pour la production du 57Co qui est produit directement lors de l’interaction du faisceau avec la cible de natNi mais qui est aussi alimenté de manière indirecte par la décroissance du 57Ni.

Les effets de décroissance sont aussi pris en compte de manière à remonter aux activités à la fin du tir (EOB- end of beam). Cela comprend aussi la décroissance pendant le temps de mesure.

Lors de ces expériences tests [Gar2010], nous avons obtenu des valeurs de sections efficaces pour 21 réactions, 12 dans le Nickel (natNi(p,x)-> 48Cr, 51Cr, 52Fe, 52Mn, 54Mn, 55Co, 56Co, 57Co, 58Co, 60Co, 56Ni et 61Cu) et 9 dans le Titane (natTi(p,x) -> 42K, 43K, 43Sc, 44Sc, 44mSc, 46Sc, 47Sc, 48Sc et 48V ). Sur les figures II-34 et II-35, on a représenté quelques-uns de ces résultats (points rouges) superposés sur les données expérimentales [csisrs] quand elles existent. Les valeurs mesurées sont en bon accord avec les données existantes.

Les grandeurs intervenants dans la détermination des sections efficaces étant toutes indépendantes, on peut sommer de manière quadratique les erreurs associées pour obtenir l’erreur totale.

 

La contribution la plus importante provient de la section efficace de référence utilisée dans le moniteur qui est de l’ordre de 10%.

Bibliographie :

[Gar2011] Thèse de doctorat d’E. Garrido

[NNDC] Kinsey RR, et al. The NUDAT/PCNUDAT Program for Nuclear Data, paper submitted to the 9th International Symposium of Capture Gamma-Ray Spectroscopy and Related Topics, Budapest, Hungary, October 1996. Data extracted from the NUDAT database, version (2006). http://www.nndc.bnl.gov/nudat2/

[IAE2001] IAEA-TECDOC-1211(2001),  http://www-nds.iaea.org/medical/

[Csisrs] http://www.nndc.bnl.gov/exfor/exfor00.htm (dernière visite: 9 octobre 2010)